Le Kétoupa roux ( Bubo flavipes ) est un rapace nocturne très rare en Chine. On recense moins d’une observation par an dans le « China Bird Report ». Les difficultés à rencontrer cet oiseau expliquent le peu de chiffres que l’on dispose sur l’état de sa population. Son habitat est composé de torrents, de rivières de taille moyenne où il pêche et qui doivent être bordés de forêts pour qu’ il se repose le jour. Les sites diurnes fréquentés par l’espèce sont escarpés et souvent inaccessibles, quant à la recherche la nuit, elle s’avère toujours extrêmement périlleuse le long des torrents.
Fin janvier /début février 2012, il m’a été permis d’effectuer un séjour dans la réserve de Da Yao Shan dans la province du Guangxi. Cette réserve est connue pour la qualité de ses forêts et pour ses arbres plusieurs fois centenaires. Lieu mythique de l’ornithologie chinoise, le site a été fréquenté par plusieurs ornithologues avant-guerre. On dispose de ce fait d’une liste d’espèces assez conséquente. Certaines de ces espèces font partie des plus rares que l’on puisse rencontrer en Chine, comme la mythique Alcippe à front jaune (Alcippe variegaticeps) pour ne citer qu’elle. Toutefois Da Yao Shan n’a été que très rarement visité ces dernières années. Certaines espèces n’ont pas été observées depuis près d’un siècle. Pour ma part, j’ai ainsi eu l’occasion d’entendre une Chouette leptogramme (Strix leptogrammica) dont la dernière mention sur ce site remonte à 1923.
A la lecture de la liste de la réserve, constatant la présence de cet autre oiseau mythique de Chine, le Bihoreau superbe (Gorsachius magnificus), mais sans mention récente, je décidais de rechercher des rivières favorables à l’espèce. Cette dernière partage le même habitat que le Kétoupa roux, espèce que je souhaite observer depuis longtemps en Chine, après plusieurs essais infructueux dans d’autres réserves du sud de la Chine.
Voilà dons pourquoi, le 1 février 2012, dans l’après-midi, je me retrouve au bord d’une rivière, à environ 30 KM à l’est de la ville de Jin Xiu . La saison sèche s »achève tout juste, le niveau de la rivière n’est pas très élevé, mais me semble suffisant pour correspondre à l’idéal des deux espèces recherchées. Les rives de la rivière sont admirablement boisées, je suis à ce moment là confiant quand à l’endroit trouvé. Quant à 500 mètres plus loin, dans un méandre, je remarque 4 poteaux d’une quinzaine de centimètres de diamètre et d’environ 3 à 4 mètres de hauteur, espacés de 50 mètres chacun. Chaque poteau dispose d’une cordelette fixée à mi-hauteur et qui semble se diriger vers le haut du poteau. En me rapprochant un peu, je me rends alors compte que des pièges à palettes sont disposés sur le sommet de chacun des poteaux.
Furieux de ma découverte, mais guère surpris du fait de la quantité de filets de capture et autres collets trouvés auparavant dans les collines avoisinantes, je continue à longer la rivière. Dans un autre méandre, un peu plus bas, je me rends compte que la cordelette d’un poteau est dirigée vers le bas. En me rapprochant de celui-ci, je constate la capture d’un rapace nocturne, de grande taille, mort…
A l’odeur qu’il dégage, l’oiseau a du être capturé depuis plusieurs jours. Un rapide examen me permet de l’identifier. Les tarses dépourvues de plumes éliminent un possible Grand Duc d’Europe ( Bubo bubo ), ce que confirment l’absence de disque facial clairement délimité et le pattern des rémiges. De même, les stries noirâtres sur la poitrine sont assez larges, ce qui me conduit à éliminer le Kétoupa brun ( Ketupa zeylonensis ). Je venais de trouver mon premier Kétoupa roux, mais pas vraiment de la façon que j’avais souhaitée…
Les rapaces nocturnes en Chine sont très prisés pour la pharmacopée. On leur prête de nombreuses vertus. Le prix d’un oiseau peut s’élever à plusieurs mois de salaire. Il semble toutefois que celui-ci finira de pourrir le long de cette rivière… Etant en pleine période de Nouvel An chinois, je soupçonne la personne qui a posé ces pièges d’être rentrée dans sa famille pour les fêtes, en laissant tout ses pièges actifs et sans surveillance. Quelques mètres derrière le piège se trouvait ce panneau, je l’ai pris en photo et demandé plus tard à quelqu’un de me le traduire. Il signifie que toute personne remarquant des activités illégales en rapport avec la faune ou la flore peut contacter le département des Forêts en charge de la réserve au numéro indiqué.
Vous imaginez bien que, vu la rareté de l’espèce, le prélèvement de tout individu a un impact énorme sur sa population. Malgré le fait que mes chances de voir un oiseau vivant ce jour là venaient d’être réduites à néant par cette découverte, j’ai malgré tout continué à prospecter le long de la rivière, j’ai trouvé plus de 15 de ces pièges à poteau dont certains venaient juste d’être posés sans piège au sommet… Chaque méandre avait son poteau et tous les autres perchoirs aux alentours avaient été soigneusement détruits pour contraindre l’oiseau à ne se poser que sur ces poteaux…
J’ai trouvé plusieurs sites qui correspondent parfaitement au lieu de pêche qu’affectionnent le Bihoreau superbe, eau assez calme peu profonde avec des cailloux de petites tailles sur le lit de la rivière. J’y ai même trouvé sur ces sites 2 fèces d’ardéidée. Malgré 2 heures d’affuts sur site jusqu’à la tombée de la nuit, sous une pluie fine, trempé d’avoir dû traverser la rivière à plusieurs reprises avec de l’eau jusqu’aux genoux, le tout par une température de 5 degrés (la motivation était là) , je n’ai rien observé de notable, hormis quelques-unes des espèces classiques des torrents chinois, Cingle de Pallas ( Cinclus pallasii ) , Enicure ardoisé ( Enicurus shistaceus ), Enicure nain ( Enicurus scouleri ), Nymphée fuligineuse ( Rhyacornis fuliginosa ). Le retour de nuit, à la lampe frontale, sur des rochers rendus extrêmement glissant par la pluie fut assez laborieux.
A l’heure ou j’écris cet article, un rapport est en préparation et devrait être envoyé au Département des Forêts de la province du Guangxi Je ne manquerai pas de vous informer de la suite des évènements..
Je tiens à remercier Richard Lewthwaite qui m’a communiqué la liste historique des espèces de la réserve de Da Yao Shan ainsi qu’une liste en préparation pour la province du Guangxi.
Le Kétoupa roux, ainsi trouvé, constitue la première mention connue pour la réserve de Da Yao Shan
Le Kétoupa roux est classé en » peu concerné » par l’IUCN, son statue en Chine reste méconnu.
Le Kétoupa roux est protégé en catégorie II en Chine, comme tout les autres Strigiformes.
Jonathan Martinez
référence :
- Birding South-East China, Tim Woodward 2006
- China Bird Report 2007, China Ornithological Society, 2008
- China Bird Report 2006, China Ornithological Society, 2007
- China Bird Report 2005, China Ornithological Society, 2006
- China Bird Report 2004, China Ornithological Society, 2005
- China Bird Report 2003, China Ornithological Society, 2004
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